Que penser des végans ? Quand l’alimentation devient un mode d’expression

Que penser des végans ? Quand l’alimentation devient un mode d’expression

Dr Cyril Gauthier – Publié le 25 mars 2018

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Il ne s’agit en aucun cas de juger une alimentation influencée par des convictions. Quelles soient idéologiques, politiques, économiques ou religieuse, ces dernières sont propres à chaque personne et ne sauraient être remises en cause. Le rôle premier des professionnels de santé en nutrition est de tenir compte de ce qui qualifie une personne afin de s’adapter dans le but d’assurer l’évolution la plus favorable.

Ces 2 articles parus en mars dans Libération résument assez les divergences d’opinion de notre société sur une alimentation contemporaine saine.

Pourquoi les végans ont tout faux

Par Paul Ariès, politologue , Frédéric Denhez, journaliste, chroniqueur («CO2 mon amour» sur France Inter) et Jocelyne Porcher, sociologue, directrice de recherches à l’Inra — 18 mars 2018

Ils prônent une rupture totale avec le monde animal, alors que manger de la viande a toujours fait partie de l’histoire humaine, un moment essentiel de partage. Cette relation doit reposer sur un élevage raisonné et bio, respectueux des sols et des terroirs. La meilleure façon d’échapper à l’alimentation industrielle.
Ils sont peu nombreux, mais ils ont une audience impressionnante. Comme ce qu’ils disent semble frappé au coin du bon sens, celui de l’émotionnel et d’une morale binaire, le bien, le mal, c’est que ça doit être vrai. D’où le succès de la propagande végane, version politique et extrémiste de l’abolitionnisme de l’élevage et de la viande, que l’on mesure simplement : aujourd’hui, les opinions contraires, pourtant majoritaires, doivent se justifier par rapport à elle. Nous dénonçons d’autant plus le mauvais coup que porte le véganisme à notre mode de vie, à l’agriculture, à nos relations aux animaux et même aux courants végétariens traditionnels, que nous sommes convaincus de la nécessité d’en finir au plus vite avec les conditions imposées par les systèmes industriels et d’aller vers une alimentation relocalisée, préservant la biodiversité et le paysan, moins carnée, aussi. L’Occident et les riches des pays du Sud consomment trop de viandes, et surtout de la mauvaise viande. Au Nord comme au Sud, les systèmes industriels ont changé l’animal en machine à transformer la cellulose des plantes en protéines bon marché pour le plus grand profit des multinationales et au détriment des paysans, des consommateurs, des sols, de l’eau et des animaux. Le bilan sanitaire et écologique de ces rapports de travail indignes aux animaux est tout aussi mauvais que celui du reste de l’agriculture productiviste : on empoisonne les consommateurs avec de la mauvaise viande, de mauvais légumes et fruits, en dégradant l’environnement et la condition paysanne. Ceci étant dit, regardons un peu les arguments avancés par les végans.

Les végans vont sauver les animaux

Depuis douze mille ans, nous travaillons et vivons avec des animaux parce que nous avons des intérêts respectifs à vivre ensemble plutôt que séparés. Les animaux domestiques ne sont plus, et depuis longtemps, des animaux «naturels». Ils sont partie prenante du monde humain autant que de leur propre monde. Et, grâce au travail que nous réalisons ensemble, ils ont acquis une seconde nature qui fait qu’ils nous comprennent, bien mieux sans doute que nous les comprenons. Ainsi est-il probable qu’ils ne demandent pas à être «libérés». Ils ne demandent pas à retourner à la sauvagerie. Ils ne demandent pas à être stérilisés afin de peu à peu disparaître, ainsi que le réclament certains végans. Ils demandent à vivre avec nous, et nous avec eux, ils demandent à vivre une existence intéressante, intelligente et digne.

Le véganisme va nous sauver de la famine

Jusqu’à il y a peu, rappelons-le, les hommes et les femmes mouraient vite de trois causes possibles : les maladies infectieuses, la guerre et la faim. Or, depuis la fin du XVIIIe siècle, dans nos pays européens, et depuis les années 60 dans l’ensemble du monde, il n’existe plus de famines liées à un manque de ressources. Quel progrès ! Les famines qui adviennent sont des armes politiques. Quand des gens meurent de faim quelque part, c’est parce que d’autres l’ont décidé. On ne voit pas en quoi le véganisme changerait quoi que ce soit à cette réalité.

Le véganisme va sauver l’agriculture

Ce serait même exactement l’inverse. Si les famines ont disparu de notre sol, c’est parce que le XVIIIe siècle a connu la plus grande révolution agricole après celle de son invention : l’agronomie. Et la polyculture-élevage, pourvoyeuse de ce qui se fait de mieux pour nourrir un sol, le fumier. Une des meilleures idées que l’homme ait jamais eue. Quant à l’industrialisation de l’élevage, elle n’est pas née après la Seconde Guerre mondiale avec le productivisme agricole. Elle a été pensée bien en amont, au milieu du XIXe siècle avec le développement du capitalisme industriel. Les animaux sont alors devenus des machines dont la seule utilité est de générer des profits, aux dépens des paysans et de l’environnement.

Le véganisme va sauver notre alimentation

Le véganisme propose de se passer des animaux, pour les sauver. Retour à la case départ : l’agriculture sans élevage, c’est l’agriculture famineuse parce qu’elle épuise les sols. Ce sont des rendements ridicules pour un travail de forçat car le compost de légumes est bien moins efficace pour faire pousser des légumes que le fumier animal. A moins de forcer le sol par de la chimie, évidemment. Et de labourer bien profondément. Mais, dans ce cas, on abîme les sols, en désorganisant l’écosystème qu’il est en réalité.

Le véganisme sauvera notre santé

Tuer l’animal, c’est mal, manger de la viande, c’est destructeur. Car les études montrent que la consommation de viandes est corrélée au cancer. Sauf que ces études ont été principalement menées aux États-Unis et en Chine, où l’on consomme bien plus de viande, encore plus gavée d’hormones et d’antibiotiques, encore plus transformée. Quant aux études démontrant la longévité supérieure des végétariens qui – rappelons-le – consomment des produits animaux, lait et œufs, et dépendent donc de l’élevage, elles sont biaisées par le constat que ces publics consomment aussi très peu de produits transformés, peu de sucres, ils font du sport, boivent peu, ils ont une bonne assurance sociale, etc. Quelle est la responsabilité des légumes dans leur bonne santé ? Difficile à dire ! Ce qui importe, c’est le régime alimentaire et le mode de vie équilibrés. En comparaison, manger végan, l’absolu des régimes «sans», c’est se condamner à ingurgiter beaucoup de produits transformés, c’est-à-dire des assemblages de molécules pour mimer ce qu’on a supprimé. Sans omettre d’ajouter la précieuse vitamine B12 à son alimentation. Car sans elle, comme le montrent de nombreux témoignages d’ex-végans, ce régime ultra-sans détruit irrémédiablement la santé, à commencer par celle de l’esprit.

Le véganisme va sauver l’écologie

Avec ce retour au naturel, l’écologie est sauvée. Et bien non. Car ayant expulsé les animaux domestiques, il n’y a plus rien pour maintenir les paysages ouverts, ceux des prairies, des zones humides, des montagnes et des bocages. Sauf à obliger chômeurs, prisonniers et clochards à faucher et à couper les herbes, ou à produire des robots brouteurs. Les vaches et moutons sont les garants de l’extraordinaire diversité paysagère qui fait la France, qui est aussi celle de notre assiette. Les animaux et leurs éleveurs sont les premiers aménageurs du territoire.

Le véganisme est une position politique émancipatrice

Non, contrairement à ce que croient de nombreux jeunes, fiers de dire «je suis végan», comme s’ils participaient à une action révolutionnaire, ou si leurs actions contre les abattoirs ou les paysans vendant leurs fromages sur les marchés relevaient de la résistance à l’ordre établi, le véganisme ne participe pas à l’émancipation des animaux et encore moins à celle des humains. Au contraire, en défendant une agriculture sans élevage et un monde sans animaux domestiques, c’est-à-dire sans vaches, ni chevaux, ni chiens, ce mouvement nous met encore plus dans les serres des multinationales et accroît notre dépendance alimentaire et notre aliénation. Les théoriciens et militants végans ne sont pas des révolutionnaires, ils sont, au contraire, clairement les idiots utiles du capitalisme.

Le véganisme est l’ambassadeur de l’industrie 4.0

Le grand danger de ce début du XXIe siècle est bien l’invention d’une agriculture sans élevage. On ne compte plus les investissements et brevets déposés pour produire de la «viande» en cultivant en laboratoire des cellules musculaires de poulet, de bœuf ou de porc ou produire du lait et des œufs à partir de levures OGM. Les promoteurs de cette agriculture cellulaire se recrutent au sein des grandes firmes (Gafa, milliardaires et fonds d’investissements puissants). Les premières viandes artificielles pourraient être introduites sur le marché sous forme de carpaccio avant que soient commercialisés avant dix ans de «vrais-faux» morceaux produits in vitro. Des amas de protéines qui auront poussé à grands jets d’hormones pour favoriser la croissance et d’antibiotiques pour éviter les contaminations.

En vérité, le véganisme ne va pas nous sauver

Le véganisme est dangereux. Il participe à la rupture programmée de nos liens avec les animaux domestiques. Il menace de nous condamner à la disette en nous ramenant à l’agriculture prédatrice des temps anciens. Il menace de ruiner les pratiques alternatives, comme le bio, en annihilant la polyculture-élevage qui est son fondement. Il menace de nous condamner à dépendre d’une alimentation industrielle 4.0. Il menace d’uniformiser nos paysages. Il menace paradoxalement de nous faire perdre notre humanité incarnée et notre animalité en nous coupant des réalités naturelles par des zoos virtuels, des paysages transformés en sanctuaires, avec des chiens et chats remplacés par des robots. Le véganisme est l’allié objectif d’une menace plus grande encore. Car, après tout, la meilleure façon de ne plus abîmer la nature est de s’en couper totalement. De s’enfermer dans des villes, alimentées par des flux de molécules et des flux de données. Plus de sale, plus de propre, que de l’esprit sain tourné vers une morale ultime, l’amélioration de l’homme par son isolement total de la nature que l’on ne peut maîtriser et qui nous renvoie sans cesse à notre animalité. Oui, véganisme rime avec transhumanisme.
Un monde terrifiant. La consommation de la viande a introduit, dès la préhistoire, l’obligation du partage, l’invention de la logique du don et du contre-don car un chasseur ne consomme jamais son propre gibier. Don et contre-don sont aussi au fondement de nos rapports sociaux avec les animaux. Donner – recevoir – rendre est le triptyque de nos liens. Que sera l’humanité sans cet échange fondamental ?

 

Et si les végans n’avaient pas tort ?

Association L214

«Extrémistes», «binaires», «ambassadeurs de l’industrie»… Jocelyne Porcher, Paul Ariès et Frédéric Denhez, auteurs de la tribune parue dans Libération le 18 mars, ne manquent pas de qualificatifs pour casser celles et ceux qui ont choisi de mettre en adéquation leur quotidien avec la considération qu’ils portent aux animaux. Dans cette tribune pleine de préjugés et de raisonnements fallacieux, une imaginaire «stratégie végane» est opposée à celle de la lutte contre l’élevage intensif. Quelle perte d’énergie que d’opposer les individus les uns aux autres alors même que nous partageons initialement tous le même constat. Enfermement, cages, mutilations, violence des abattoirs… nous ne cessons de pointer du doigt un système fou, ultra-majoritaire dans notre pays puisque 80% des animaux en subissent quotidiennement les tragiques conséquences.

Meilleur pour les animaux

On aimerait faire comme si de rien n’était, ignorer les images cauchemardesques filmées récemment dans les abattoirs en France et continuer à manger de la viande sans se poser de question, comme avant. Les auteurs de cette tribune dénigrent celles et ceux qui montrent cette réalité perturbante, tout en s’épargnant une réflexion sur la violence de la mise à mort des animaux. En refusant de consommer des produits issus de l’exploitation animale, les personnes véganes font un choix cohérent, celui de ne pas tuer ni maltraiter sans nécessité.
Il est factuellement vrai que l’élevage et la pêche tuent, et qu’ils infligent des souffrances considérables aux animaux. En effet, broyage des poussins, castration à vif des porcelets, écornage des veaux, coupe des becs des poules, gazage des cochons, électrocution, abattage sans étourdissement ou perforation des crânes, ces pratiques et bien d’autres sont courantes autant en élevage conventionnel qu’en bio ou en local.
Il est factuellement vrai que nous n’avons pas besoin de consommer de produits animaux pour vivre en bonne santé . Se passer de viande ne nous ferme pas non plus la perspective d’une vie épanouissante, ni même de profiter des plaisirs de la table dès lors que la curiosité titille nos papilles.
Arrêter d’exploiter et tuer les animaux ne signifie pas rompre tout lien avec eux, au contraire. Insinuer qu’il est important de tuer des animaux pour que nos enfants tissent un lien avec eux à travers une tranche de jambon ou un steak haché est totalement absurde et grotesque. Nous avons besoin de repenser notre rapport aux animaux et il ne tient qu’à nous de nous y atteler.

Meilleur pour la planète

Nous le savons tous désormais, l’élevage est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effets de serre, de 80% de la déforestation en Amazonie, de la prolifération des algues vertes, sans compter la pollution des sols et des eaux ou le gaspillage alimentaire induits par les productions animales. Un bon moyen de lutter contre le réchauffement climatique et de préserver la biodiversité est donc d’arrêter de consommer des animaux. L’argument selon lequel la fin de l’exploitation animale mènerait à un drame paysager est risible: paysages et prairies peuvent être maintenus sans que nous ne soyons contraints de manger les animaux qui y vivent.
Il faut faire preuve d’un manque considérable d’imagination pour ne pas parvenir à concevoir d’autres relations avec les animaux d’élevage que celles qui consistent à les faire se reproduire sans fin pour les égorger dans le vacarme et la puanteur des abattoirs. Il ne tient qu’à nous d’arrêter de les exploiter et de leur offrir une vie paisible, et l’existence intéressante, intelligente et digne qu’ils méritent.

Meilleur pour les humains

L’agriculture, qui détient enfermés la majorité des poulets, qui gave des canards à tour de bras, qui mutile des cochons, qui confine des poules en cages, qui saigne les animaux et les débite en petits morceaux, ne peut être une agriculture respectueuse ni des animaux, ni des humains. L’extrême pénibilité du travail dans les élevages et les abattoirs est établie; le taux de suicide est près de 20% plus élevé chez les agriculteurs que dans le reste de la population. Notre système ne tient que sous perfusion de subventions publiques. Il est désormais urgent de penser à la transition de l’agriculture et d’accompagner à la reconversion les éleveurs au lieu de vouloir maintenir hors de l’eau un système à bout de souffle. Par ailleurs, près de 800 millions d’humains souffrent de malnutrition, tandis que les deux tiers des terres agricoles dans le monde sont consacrées à l’élevage ou à la production d’aliments pour le bétail. Des paysans sont par exemple expropriés de leurs terres, notamment en Amérique du Sud, au profit de producteurs de soja destiné aux vaches, aux cochons et aux poulets d’élevages français.
Les famines sont d’origine multifactorielles et les personnes véganes ne prétendent pas résoudre tous les problèmes géopolitiques. Cependant, selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), si les pays riches et émergents divisaient par deux leur consommation de viande, la ration calorique des habitants des pays en développement pourrait augmenter et au moins 2,2 millions d’enfants pourraient échapper à la malnutrition chronique.

S’opposer au véganisme ne va pas nous sauver


Refuser d’exploiter les animaux n’est ni dangereux, ni sectaire et n’empêche pas d’en finir prioritairement avec les pires formes d’exploitation animale pour le bien de tous. Il serait grand temps d’arrêter de gaspiller nos forces à nous opposer les uns aux autres.

Nous n’avons pas pour but de contester que les consommateurs qui choisissent certains labels causent moins de tort aux animaux que les autres, mais il est utopique d’imaginer qu’on puisse un jour arriver à offrir une vie décente et une mort sans souffrance aux animaux tués pour l’alimentation humaine. La poursuite de la consommation carnée, dans des conditions garantissant une bonne vie et une bonne mort aux animaux mangés, est une illusion. Ce mythe doit être détruit parce que cette fausse promesse permet de laisser perdurer les innombrables atrocités imputables à la viande; elle pousse à différer indéfiniment les décisions nécessaires pour y mettre un terme.