Bigorexie : l’étrange maladie des bodybuilders

Bigorexie : l’étrange maladie des bodybuilders

 

La bigorexie, une véritable addiction. (Shutterstock)


Alors que le renforcement musculaire est conseillé pour être en bonne santé, il peut avoir l’effet inverse quand il devient une obsession. Régimes, isolement, injections… Quand le désir d’un corps parfait est perpétuel, il peut monopoliser la vie.

« Il manque encore du volume », soupire Jérôme devant sa photo. Il fait 1,73 m pour 87,7 kg. Le couvreur de 37 ans doit prendre 12 kg pour se rapprocher de son physique idéal… Pour le moment. Son t-shirt rouge laisse visible ses épaules galbées et ses gros bras tracés.

Depuis 4 ans, il met tout en oeuvre pour augmenter sa masse musculaire et ressembler à ses idoles d’enfance, Arnold Schwarzenegger et Jean-Claude Van Damme. Abonné à deux salles de sport, il est sur le point de faire sa première séance de 2 heures parmi les six de la semaine.

Les personnes atteintes « se voient trop petites »

Heures de sport et de sommeil calculées, aliments pesés… Tout tourne autour des objectifs physiques. La « bigorexie » (nom donné par les bodybuilders) est une forme de dysmorphophobie : obsession avec un défaut physique réel ou imaginé. À la muscu, cette focalisation irrationnelle est sur le développement des muscles. Athlète ou amateur, la vie d’une personne atteinte est organisée en fonction de leur prise de masse.

Peu connue en France, la bigorexie a été reconnue en tant que maladie par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2011. Elle avait déjà été identifiée comme pathologie en 1993 par le psychiatre américain, Dr. Harrison Pope de l’Institut national américain pour l’information biologique. Selon les résultats de son étude, les personnes atteintes « se voient trop petites ou trop maigres, alors qu’elles sont en réalité de taille normale, voire exceptionnellement musclées ».

Mode de vie ou maladie ?

« C’est un choix. Je prévois de continuer à vivre ainsi le plus longtemps possible. » Pour Jérôme, ses objectifs physiques font partie de son mode de vie et ne correspondent pas à une forme d’addiction ou de pathologie.

Selon le rapport médical Addiction à l’exercice physique du Dr. Velea, psychiatre & addictologue : « Ce besoin compulsif qu’on pourrait décrire comme lien addictif se manifeste souvent par la nécessité de pratiquer sans relâche son sport, de contrôler sans cesse son image dans la glace et dans le regard des autres. »

La personne atteinte n’est jamais satisfaite. Elle a même tendance à ne pas pouvoir concevoir ses propres progrès : « La dysmorphophobie musculaire est très souvent lié à un problème d’estime de soi. Les personnes atteintes voient la musculation comme une sorte de remède », explique Frédérique Bonnet, préparateur physique et formateur à l’Association des Professionnels de la Forme et de l’Animation (APFA).

« Je m’injecte moi-même… »

Obstiné, Jérôme traîne une tendinite à l’épaule depuis presque six mois. La blessure ne l’empêche pas de s’entraîner. « Un peu de Nurofen, de la glace, et voilà », rajoute-t-il.

Alors que les athlètes de haut niveau cherchent à développer des performances sportives, les bigorexiques se concentrent uniquement sur des objectifs esthétiques.

Fatigue, blessures et frustration ensuivent, mais rien ne perturbe le programme. « Je ne pourrais pas ne pas aller à la salle pendant plus de 2-3 jours », affirme Jérôme. Sans musculation, le bigorexique panique et peut devenir déprimé. La solution pour continuer à faire de la musculation face à ces difficultés ? Les stéroïdes anabolisants.

Une addiction qui coûte cher

« Je m’injecte moi-même la testostérone , déclare Jérôme. J’ai récemment fait une cure de 5 mois qui m’a coûté 1500 euros, mais je connais des personnes qui se piquent toute l’année. » L’utilisation de cette hormone synthétique, illégale en France, l’a empêché d’avoir un enfant avec sa compagne. Ces injections empêchent le corps de créer sa propre testostérone, rendant la procréation impossible.

Les cures sont en général couplées à des cures d’hormones de croissance, « GH » (en anglais Growth Hormone) encore plus chères. Sans parler des compléments alimentaires (protéine, BCAAS, boosters et créatine) qui lui coûtent à peu près 200 euros par mois. « Une cure de trois mois coûte un peu plus de 1000 euros, glisse Jérôme. Au vu des risques, la GH doit également être accompagnée d’un suivi pharmaceutique, illégal aussi. »

« La majorité est dans le déni »

Alors que les sources américaines préconisent le suivi psychiatrique avec la prise d’antidépresseurs, c’est la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) qui est généralement prescrite en Europe.

Selon Frédéric Bonnet, « la majorité des personnes atteintes sont dans le déni. Celles qui se rendent compte qu’il y a un souci le dédramatisent, disant qu’il vaut mieux faire de la muscu que fumer ou boire de l’alcool. » Compliqué de soigner des personnes qui refusent d’admettre qu’elles sont malades.

Le Dr. Bruno Journe, médecin addictologue, explique : « Même si le phénomène est en augmentation, il est difficile de traiter l’addiction directement. Les personnes touchées ne consultent que lors des stades de complications, telles que l’association avec des produits dangereux. »

Ayant terminé il y a quelques jours sa dernière cure de produits anabolisants, ce n’est qu’une pause pour Jérôme. Conscient des risques, rien ne le détourne de son objectif : « Je ne compte pas en rester là, je voudrais encore développer ma masse musculaire. »

Êtes-vous bigorexqiue ?

Critères selon le chercheur britannique, Dr. Smith du département de sport et d’exercice physique à l’Université de Chester.

Critères de dépendance au body-building (D. Smith, 1998) :
1. Je m’entraîne même quand je suis malade ou grippé.
2. Il m’est arrivé de continuer l’entraînement malgré une blessure.
3. Je ne raterai jamais une séance d’entraînement, même si je ne me sens pas en forme.
4. Je me sens coupable si je rate une séance d’entraînement.
5. Si je rate une séance, j’ai l’impression que ma masse musculaire se réduit.
6. Ma famille et/ou mes amis se plaignent du temps que je passe à l’entraînement.
7. Le body-building a complètement changé mon style de vie.
8. J’organise mes activités professionnelles en fonction de mon entraînement.
9. Si je dois choisir entre m’entraîner et travailler, je choisis toujours l’entraînement.
 

Accro au sport, moi?

Accro au sport, moi?

© iStock/Nastasic

Par Clémentine Fitaire , experts :Christophe Leclerc – Gabriel Thorens  – Planète santé – Publié le 25 octobre 2018

https://www.planetesante.ch/Magazine/Sport-loisirs-et-voyages/Bouger-pour-sa-sante/Accro-au-sport-moi

Étonnante, mais réelle. L’addiction à l’activité physique existe, au même titre que celle à l’alcool, au tabac ou aux drogues. Elle a un nom: la bigorexie. Décryptage d’un phénomène.

Dans l’esprit collectif, faire du sport, c’est bien. C’est même indispensable pour préserver sa santé. Les bénéfices sont en effet indiscutables, tant sur le plan physique (entretien musculaire, respiratoire et cardio-vasculaire) que psychologique (lutte contre le stress et l’anxiété, sommeil, bien-être). Mais ce dont on parle peu, c’est du risque, certes faible mais néanmoins possible, d’addiction.

De la passion à l’addiction

4%

C’est le pourcentage de la population générale sportive qui serait susceptible de devenir dépendante à l’activité sportive. Une prévalence faible, qui semble néanmoins plus importante chez les hommes que chez les femmes. Les sportifs professionnels seraient également plus vulnérables. La fréquence ou l’intensité d’une pratique n’engendre en revanche pas, à elle seule, une addiction. «Attention, ce n’est pas parce que l’on fait beaucoup de sport que cela signifie qu’on est addict! Tout est question de modération», explique le Dr Gabriel Thorens, médecin adjoint agrégé du Service d’addictologie des HUG.

L’addiction au sport suit plus ou moins le même processus que n’importe quelle autre addiction. En pratiquant une activité physique intense, l’organisme libère de la dopamine et des endorphines, hormones du plaisir, du bien-être. Le plaisir devient alors une «récompense» répétée, apportée par la pratique sportive. Peu à peu, l’organisme peut développer une accoutumance à cette récompense: il lui faudra pratiquer du sport plus souvent, de façon plus intense, pour en ressentir les effets neurobiologiques.

Pour autant, tout le monde ne devient pas accro. Certains profils sont plus prédisposés que d’autres: «Ce sont d’ailleurs à peu près les mêmes que pour les addictions aux substances, explique le Dr Gabriel Thorens, médecin adjoint agrégé du service d’addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il y a probablement des facteurs biologiques, sociaux (environnement compétitif, sport de haut niveau) et psychologiques (troubles, recherche de sensations ou de valorisation, anxiété) qui entrent en jeu».

Comment savoir alors si notre amour du sport relève de la passion ou de l’addiction? La frontière est claire: lorsque la pratique de l’activité devient non raisonnée et non raisonnable, c’est-à-dire que l’investissement émotionnel et en temps devient accru, que les précautions de fréquence, d’intensité et de récupération ne sont plus suivies, qu’il y a un sentiment d’obligation ou une souffrance perçue par l’individu ou son entourage, alors on parle d’addiction.

Quels risques?

Si l’addiction au sport est rare, elle n’en est pas moins lourde de conséquences. Car comme le rappelle le physiothérapeute Christophe Leclerc, «l’excès nuit en toutes choses, une règle valable même pour le sport ou la consommation de légumes!». Le principal risque: l’épuisement. En ne respectant pas les périodes de récupération, l’organisme se fatigue. Cela peut alors altérer toute la musculature et le squelette, et provoquer, à terme, des blessures. «Tendinites, déchirements musculaires, fractures de fatigue… l’excès de sport peut s’avérer très néfaste, surtout si la pratique n’est pas encadrée», explique le physiothérapeute.

Outre l’aspect physique, l’addiction au sport a également des répercussions psychologiques. En cas de blessure et d’impossibilité de pratiquer, les sensations de bien-être et de confiance en soi générées par la sécrétion d’endorphines disparaissent, entraînant parfois un effondrement psychique. Certaines études relèvent des cas de troubles de l’humeur, de perte de l’estime de soi ou encore de dépression lors d’un arrêt brutal du sport chez les personnes addicts.

Heureusement, le sevrage est possible, «et passe par un accompagnement global, comme pour n’importe quelle addiction, explique Christophe Leclerc. C’est absolument nécessaire pour réorganiser le comportement». Un suivi psychologique pour amener le patient à une prise de conscience ou traiter un éventuel trouble à l’origine de l’addiction, ainsi qu’une modification progressive de la pratique, doivent être mis en place. A condition que la personne touchée le veuille, explique le Dr Thorens: «La première étape sur le chemin du traitement d’une addiction quelle qu’elle soit, est la participation du patient et sa motivation à entreprendre un changement.»

Témoignage

«La course, c’est ma santé. Et pour moi c’est le plus important»

Eusébio, 51 ans, peut courir jusqu’à 280 km par semaine. Il partage son expérience et ce que la course lui apporte chaque jour.

Quel type de sportif êtes-vous?

Je me considère comme un sportif amateur. Je pratique la course à pied sur route, sur longue distance. Je cours le matin avant d’aller au travail, entre 40 et 45 km par jour, ce qui me prend environ quatre heures. Et cela, six jours par semaine, ce qui fait entre 240 et 280 km par semaine.

Avez-vous toujours pratiqué beaucoup de sport?

J’ai commencé le sport assez soudainement, en 2001, vers l’âge de 35 ans. Avant ça j’étais plutôt un fêtard, un bon vivant! J’étais un peu enrobé, je commençais à avoir du ventre. Un jour je me suis dit qu’il fallait que je prenne soin de mon corps, je me suis donc mis au sport. Assez vite, je me suis lancé des défis, je voulais toujours aller plus loin : d’abord 5 km, puis 10, puis 20… jusqu’à des courses de 255 ou même 285 km non-stop.

Vous êtes tombé gravement malade en 2012, avez-vous alors levé le pied?

Non, au contraire! J’ai eu un cancer, mais j’ai continué la course malgré les traitements. Je pense que c’est elle qui m’a permis, en complément de la chimiothérapie, de maintenir ma santé et de guérir.

Que se passe-t-il si vous ne pratiquez pas de façon régulière?

Quand je ne cours pas, je suis en manque. Même si je ne m’arrête qu’une seule journée, je me sens prendre du poids, je suis énervé, contrarié. Et surtout, c’est comme si la maladie, tel un animal qui serait en moi, m’attaquait à nouveau. Si je ne cours pas, j’ai l’impression que je n’élimine pas, que tout stagne et que cela «nourrit» le cancer.

Vous êtes-vous déjà dit que vous étiez allé trop loin?

Je me suis parfois blessé par le passé, mais maintenant j’entretiens mon corps. Je m’alimente sainement, je ne veux pas le fragiliser. Je fais très attention.

Diriez-vous que vous êtes «accro» au sport?

Oui, complètement, et j’assume!

Cette addiction s’est-elle déjà répercutée sur vos relations familiales?

Oui, c’est arrivé. On m’a souvent reproché d’avoir toujours la tête dans la prochaine course, le prochain marathon que je prépare. C’est vrai que courir passe avant le reste. En même temps, la course, c’est ma santé, et pour moi, c’est le plus important.